La Favorite
Prompt à grapiller bien des statuettes lors de la prochaine cérémonie des Oscars, le réalisateur Yórgos Lánthimos n'en perd pas son art pour autant et nous livre avec La Favorite un nouvel exemple de perversion avec ce film à costumes atypique. Impressionnant de maîtrise, quoique trop hermétique.
Note --> 3,5/5
Synopsis : Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre.
Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la
dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère
instable, occupe le trône tandis que son amie Lady Sarah gouverne le
pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill, arrive à la
cour, Lady Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être
une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines
aristocratiques.
S’étant livré à un public de
cinéphiles plus large avec ses deux dernières réalisations que sont The Lobster
et Mise à mort du cerf sacré (ces deux films ayant fait fureur au Festival de
Cannes), voici que le cinéaste grec Yórgos Lánthimos s’attaque aux Oscars
avec La Favorite. En même temps, il faut bien dire que le long-métrage possède
les « atouts » qui tapent souvent dans l’œil de l’Académie : des
têtes d’affiche déjà récompensées (Rachel Weisz et Emma Stone) et un genre
prompt aux costumes et décors (ici, film historique prenant place à l’époque
libertine du XVIIIe siècle). Dès lors, on comprend pourquoi le projet est
aujourd’hui (à l’heure où cette critique est écrite) considéré comme l’un des
grands favoris de la prochaine cérémonie des Oscars, ayant à son actif le plus
de nominations (plus exactement 10, tout comme Roma d’Alfonso Cuarón).
Mais une telle notoriété auprès de la profession, cette course à la statuette,
n’a-t-elle pas causé la perdition d’un réalisateur atypique ? Son
effacement derrière un produit fait sur mesure pour s’attirer les faveurs de la
profession dans son ensemble ? Fort heureusement non : La Favorite
est une œuvre digne de son géniteur, pour notre plus grand plaisir… ou
indifférence.
Rien que sur le papier, La
Favorite est un film taillé sur mesure pour Lánthimos. Et pour cause, comme
il a pu le démontrer avec sa filmographie via divers genre (le thriller, la
science-fiction, le drame…), le bonhomme aime avant toute chose parler de
cruauté. De l’histoire qu’il traite. De ses personnages. Afin de mettre en
valeur la bêtise humaine, bien que ses intrigues soient la plupart du temps farfelues.
Avec ce film, nous avons tous les ingrédients possibles et imaginables qui lui
conviennent parfaitement : une reine excessivement lunatique (pour ne pas
dire folle), sa conseillère manipulatrice et autoritaire qui gouverne le pays à
sa place, et la cousine de cette dernière, noble déchue en servante qui va
profiter de l’occasion pour se refaire un nom et retomber dans la débauche (quitte
à se montrer tout aussi impitoyable et tyrannique que sa cousine, devenant
détestable alors qu’on s’était attaché à elle d’entrée de jeu). Ces trois
protagonistes étant, qui plus est, au centre d’un triangle amoureux lesbien
pour le moins vachard et surtout disproportionné (les aléas sentimentaux
paraissant plus importants que le sort du pays et des soldats en guerre). Bref,
un nouvel exemple de perversion signé Lánthimos, qui parvient à nous captiver
par les actions et relations de ses personnages, ces derniers étant superbement
interprétés soit dit en passant (parmi les actrices déjà citées, n'oublions pas de mentionner la brillantissime Olivia Colman).
L’autre élément majeur montrant à
quel point La Favorite possède la patte propre à son réalisateur : l’ambiance.
Ceux ayant déjà vu un film de Lánthimos savent reconnaître une œuvre du
bonhomme, et ce sans la moindre hésitation. Avec ce nouveau long-métrage, ils
auront à nouveau droit à cette atmosphère glaciale qui offre à cette cruauté,
cette perversion, tout son potentiel. Son aspect malsain. Son charme
hypnotique. Une ambiance que nous devons principalement au manque de musiques
(la bande originale ne doit compter que 2-3 compositions) et au désir du réalisateur
de tourner sans éclairage artificielle (à la lumière naturelle). Conférant aux
décors ce côté si réaliste de la représentation visuelle de l’époque. Mais comme
pour les précédentes réalisations de Lánthimos, l’atmosphère est si rude qu’elle
en devient beaucoup trop hermétique. À l’instar de Phantom Thread (de Paul
Thomas Anderson, sorti l’année dernière), La Favorite en rebutera plus d’un à
cause de son rendu des plus austères et difficilement supportables. D’où le
fait que certains spectateurs se montreront indifférents face au film et à ses
qualités pourtant indiscutables.
Là où La Favorite est une grande
première pour Yórgos Lánthimos, c’est par les moyens
techniques dont celui-ci a bénéficié lors du tournage. Par là, il faut
comprendre qu’à partir d’un budget de 15 millions de dollars (une « petite
somme » pour un film de cet acabit), le cinéaste a su se débrouiller pour
nous offrir un film historique ayant du cachet. Pour représenter comme il se
doit le luxe et le mode de vie des nobles de l’époque (notamment en ce qui
touche la famille royale). En effet, La Favorite témoigne d’un sens du détail
pour le moins impressionnant dans les décors, les costumes, les accessoires,
les coiffures et les maquillages. Et ce même si, sur ces points, le film s’éloigne
de certaines vérités historiques. Un fait tout bonnement assumé par l’équipe du film, qui
a pour le coup voulu renforcer l’irrévérence, la cruauté ordinaire de l’ensemble
(cassant ainsi avec les codes si pointilleux du film en costumes). Un choix
bienvenu, conférent au long-métrage sa petite signature au milieu de tous ces
titres qui se ressemblent.
Oui, La Favorite, comme tout bon film de Yórgos
Lánthimos
qui se respecte, ne plaira pas à tout le monde. Mais encore une fois, nous ne
pouvons que féliciter le réalisateur, qui ne s’est pas perdu dans un système tellement
lourd qu’il en rend insipide l’art de bien des metteurs en scène. Avec sur le
papier un banal film de costumes pour les Oscars, le cinéaste grec livre un
métrage portant sa marque. Une œuvre atypique qui permet de se plonger dans son
univers si particulier et risque bien de grapiller bien des statuettes lors de la
prochaine cérémonie des Oscars qui se tiendra le 24 février prochain.
BANDE-ANNONCE :
FICHE TECHNIQUE :
Titre original : The Favourite
Réalisateur : Yórgos Lánthimos
Scénario : Deborah Davis et Tony McNamara
Casting : Olivia Colman (la reine Anne d'Angleterre), Rachel Weisz (Lady Sarah Churchill), Emma Stone (Abigail Hill), Nicholas Hoult (Robert Harley), Joe Alwyn (Samuel Masham), Mark Gatiss (John Churchill), James Smith (Sidney Godolphin), Liam Flemming (Kévin)...
Photographie : Robbie Ryan
Décors : Fiona CrombieCostumes : Sandy Powell
Montage : Yorgos Mavropsaridis
Musique : Komeil S. Hosseini
Producteurs : Ceci Dempsey, Ed Guiney, Yórgos Lánthimos et Lee Magiday
Productions : Element Pictures, Scarlet Films, Film4 et Waypoint Entertainment
Distribution : 20th Century Fox
Genre : Drame historique
Durée : 1h59
Budget : 15 M$
Date de sortie : 06 février 2019
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