La Mule
Bien plus qu'un drame biographique déjà-vu, La Mule est une lettre de son réalisateur à son public. Le film le plus personnel de Clint Eastwood. Touchant et bouleversant !
Note --> 4/5
Synopsis : À plus de 80 ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché
et seul, mais son entreprise risque d’être saisie. Il accepte alors un
boulot de chauffeur. Mais en réalité, sans le savoir, il s’est engagé à
être passeur de drogue pour un cartel mexicain...
En 2012, Clint Eastwood avait
certifié qu’Une nouvelle chance serait le dernier long-métrage pour lequel il
apparaitrait à la distribution en tant qu’acteur, préférant continuer à
réaliser ses projets. Et alors que le célèbre octogénaire hollywoodien a
enchainé en quelques années des films sur des personnalités (Jersey Boys) et
héros américains (American Sniper, Sully, Le 15h17 pour Paris), le voici qui
revient sur sa décision pour sa nouvelle réalisation. Une nouvelle « histoire
vraie », celle d’un vieil homme qui s’est retrouvé à convoyer de la drogue
pour les cartels. Mais plus qu’une intrigue authentique, La Mule est également
le film le plus personnel de son réalisateur. Un autoportrait, une sorte de
testament pour celui qui aura marqué le cinéma en y imposant sa pierre à l’édifice. Délivrant à cette œuvre une toute autre envergure que celle d’un drame pour
le moins atypique.
Car si l’on devait prendre la
trame de La Mule pour ce qu’il est, autant dire qu’il n’y avait pas
grand-chose à se mettre sous la dent. Juste l’histoire de cet octogénaire, à la
rue et rejeté par sa famille (car n’ayant jamais été présent pour elle), qui va
retrouver un second souffle en transportant de la drogue, avec les agents de la
DEA à ses basques. Un « nouveau travail » qui va lui permettre de
gagner des sommes d’argent pour le moins dérisoires et lui offrir une toute
nouvelle vie (voiture, aider certaines personnes, se rapprocher de sa
petite-fille, passer du temps en bonne compagnie…). Hormis l’âge du personnage
principal, Earl, qui apporte tout son sel (l’occasion de placer quelques vannes
sur la vieillesse faisant mouche), on voyage ici en terrain connu. Et ce même
si le tout se trouve par moment ponctué par la verve si caractéristique d’Eastwood
(le coup du « proctologue » sent bon la répartie à la Inspecteur
Harry). Non, ce qui donne à La Mule toute sa puissance sa puissance, c’est le fait que Clint le
réalise et le joue, profitant de cette histoire vraie pour se l’approprier et
en faire un parallèle avec sa propre carrière. Sa propre vie. Earl obsédé par
ses fleurs et son travail, c’est Clint obnubilé par ses projets
cinématographiques et sa carrière d’acteur/réalisateur s’étalant sur
soixante-quatre ans. La séquence d’introduction où l’on voit Earl ayant du
succès avec ses fleurs au point qu’on vienne le voir en tendant la main vers
lui, c’est Clint vivant sa célébrité sous l’œil émerveillé de ses fans lui
demandant un autographe. La déchéance professionnelle d’Earl (la modernité
traduite par Internet prenant le pas sur ses méthodes de vente orthodoxes) et
quelques séquences faisant références à la carrière du comédiens (les motardes à Doux, dur
et dingue et Ça va cogner, le côté un peu fachiste et raciste de ses
personnages…), c’est Clint se retrouvant dépassé par son époque. Des exemples
de ce genre, La Mule en regorge à foison. Sans oublier les nombreuses répliques
du film, qu’Eastwood use à fond pour présenter ses regrets personnels. Regrets
d’avoir été un mauvais mari, un mauvais père. Regret d’avoir mis en avant sa
vie professionnelle au détriment de sa personnelle, au risque d’oublier des
anniversaires et d’autres dates importantes.
Vous l’aurez compris, avec ce
film, Clint se livre à nous comme il ne l’a jamais fait. S’il avait déjà parler
de la vieillesse et de la peur du temps qui passe dans d’autres projets (Space
Cowboys, Créance de Sang, Million Dollar Baby, Gran Torino), il va jusqu’à
casser son image iconique pour nous paraitre le plus humain possible. Assumant
pleinement son âge (ne cachant pas ses rides, sa peau fripée, sa démarche bancale,
le ton vacillant de sa voix…). Ne cachant nullement ce côté homme à femmes qui
semblait le décrire au quotidien (voir le personnage d’Earl flirter
constamment, même avec plus jeune que lui). N’ayant plus aucun filtre sur ce qu’il
ressent actuellement concernant ses regrets et cette peur du temps qui passe. Révélant
qu’il est prêt à passer à autre chose et à décerner le flambeau à son fils
cinématographique en la personne de Bradley Cooper (l’ayant dirigé dans
American Sniper et laissé réaliser A Star is Born) par le biais d’une scène
lourde de sens. Et de savoir que la fille de son personnage est interprétée par…
sa propre fille, Alison Eastwood, en dit long sur la mise en abyme du comédien.
Voilà ce qu’est La Mule : un film pour le moins lambda qui prend une toute
autre envergure par le fait que Clint en ait fait sa propre histoire, conférant
à son film quelque chose d’incroyablement touchant et bouleversant. Au point de
se dire que le réalisateur vient tout juste de nous faire ses adieux définitifs.
Et franchement, que dire de plus ?
Comme à l’accoutumée, Eastwood nous livre un film techniquement maîtrisé.
Savamment écrit, même s’il faut tout de même noté quelques errances
scénaristiques (le personnage de Julio qui disparait comme ça de l’intrigue, ce
qui se passe au sein du cartel pour qu’on évoque des histoires de trahisons et
de renouveau, le dénouement, des ellipses assez lourdes…). Brillamment
interprété, regroupant une brochette de comédiens investis (Bradley Cooper,
Laurence Fishburne, Michael Peña, Dianne Wiest, Andy Garcia, Taissa
Farmiga…). En bref, Clint fait encore une fois preuve de son immense
savoir-faire en matière de réalisation, à savoir livrer une histoire avec
autant de sobriété que de puissance émotionnelle. Sur la forme, ce n’est
peut-être pas le plus abouti, mais sur le fond, La Mule se démarque du reste de
sa filmographie tout entière.
Faisant aussitôt oublier la
véritable taulée critique et commerciale qu’avait été Le 15h17 pour Paris,
Clint Eastwood frappe un grand coup avec son dernier film. Et par « dernier »,
je ne veux malheureusement pas dire « nouveau » mais bien « ultime »
long-métrage que nous livre cette légende du cinéma. Car si rien n’est pour le
moment concret, La Mule semble être celui qui clôturera une immense et riche carrière.
Celle d’un homme qui aura su nous offrir des titres mémorables, qui seront
toujours utilisés en tant que références. Et pour cela, je ne peux qu’applaudir
la star qui aura su étinceler pendant plusieurs décennies, et remercier l’homme
qui aura su parvenir à se forger une légende aussi grandiose.
BANDE-ANNONCE :
FICHE TECHNIQUE :
Titre original : The Mule
Réalisateur : Clint Eastwood
Scénario : Nick Schenk, d'après l'article de Sam Dolnick paru dans le New York Times
Casting : Clint Eastwood (Earl Stone), Bradley Cooper (Colin Bates), Laurence Fishburne (agent spécial de la DEA), Michael Peña (agent Trevino), Dianne Wiest (Mary), Andy Garcia (Laton), Clifton Collins Jr. (Jim), Alison Eastwood (Iris)...
Photographie : Yves Bélanger
Décors : Kevin IshiokaCostumes : Deborah Hopper
Montage : Joel Cox
Musique : Arturo Sandoval
Producteurs : Clint Eastwood, Dan Friedkin, Jessica Meier, Tim Moore, Kristina Rivera, Bradley Thomas
Productions : Warner Bros., Imperative Entertainment, Bron Creative, The Malpaso Company, BRON Studios et Creative Wealth Media Finance
Distribution : Warner Bros.
Genre : Biopic dramatique
Durée : 1h56
Budget : 50 M$
Date de sortie : 23 janvier 2019
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